Mon travail est à la fois une lutte, une recherche et un cheminement; un aboutissement qui se forge à coups de tâtonnements plus ou moins réfléchis.
Je commence par attaquer le support: coups de couteau, grattages et frottages, puis éclaboussures et gribouillages à l'encre de chine dont la noirceur est ensuite atténuée ou accentuée par endroits. Le chaos et l'aléatoire caractérisent cette première étape du processus. Alors que j'ai tendance à rechercher la clarté et l'équilibre, je résiste aux appels du mental qui pourraient interrompre le cours de l'inconscient. Ce n'est pas évident pour moi de m'adonner pleinement à l'instinctif.
Cette première étape confère une texture visible au tableau. Dans la série de couches de peinture acrylique qui vont suivre, certaines marques restent visibles. Le travail consiste à s'abandonner à l'aléatoire. Quand les couleurs sont appliquées, mes gestes deviennent de plus en plus intentionnels: je choisis des couleurs ainsi que leur degré d'opacité pour l'impact qu'elles auront sur les formes qui commencent à émerger. Celles-ci sont souvent reconnaissables - avec des caractéristiques animales ou humaines. On voit souvent des mains: ce sont elles qui détruisent et qui créent, on les utilise pour toucher et sentir. On trouve aussi des pieds: ils nous ancrent ou bien nous aident à courir.
Le va et vient de la construction du tableau reflète les contradictions, l'ambiguïté et la complexité qui sont des thèmes récurrents dans mes tableaux: fragmentation, identité et altérité, pouvoir et impuissance. Mes œuvres renvoient à ce qui paraît souvent inconciliable: l’exclusion et l’appartenance, le désir et la fuite, la violence et le calme.
Dans mon travail les éléments du corps féminin sont partiels, altérés ou dénaturés. Ce sont ces formes fragmentées qui portent la force symbolique du tableau: les femmes se plient ou se hissent à des attentes invisibles, et trop souvent on s'oublie, on se disperse, on se dissocie. Nous sommes belles et bien programmées pour la représentation et la performance; éventuellement les pressions, les gestes et les contraintes de nos rôles multidimensionnels deviennent ingérables. Nous ne sommes jamais assez, jamais entières, jamais pleinement représentées.
Surtout dans le monde de l'art.
Le Cirque
2021
Acryliique et encre sur toile
143 cm x 165 cm